Passé.
Elle l’avait remarqué la première fois qu’elle était revenue dans cette petite bibliothèque municipale, après la mort de son grand-père. Toutes les fois où elle se sentait triste, elle se réfugiait dans la littérature et y restait un bon bout de temps. C’était un garçon étrange. Il était plutôt solitaire, n’avait pas beaucoup d’ami mais n’était pourtant pas rejeté ; même plutôt respecté, au bahut. Il avait des cheveux aux reflets dorés, quelques mèches cachant en partie ses grands yeux clairs. Cela l’avait plutôt étonnée de le voir ici. Elle ne le connaissait que de vue, mais quand elle l’avait vue en train de chiner à travers les petits rayons, cherchant le livre parfait… cela ne lui avait fait ni chaud ni froid. C’est vrai que c’était plutôt rare un garçon aimant lire. Mais pas exceptionnel non plus. Il faut dire qu’à cette époque elle se fichait de tout, la Sophie. Mais ça l’avait plus marqué en le voyant là la semaine suivante. Puis la semaine d’après, et encore les autres semaines. Elle s’était renseigné. Son nom, c’était Antonill. Antonill Buvkys. Un polonais, d’après ce qu’on disait.
Présent.
Sophie pousse une nouvelle fois la porte de la bibliothèque. La gérante lui fait un petit signe de la main. Elle se dirige au fond de la petite salle où se trouvent ses romans favoris ainsi que quelques fauteuils. Elle passe en revue tous les titres qui défilent devant ses yeux d’une noir d’encre.
La fille de papier, Guillaume Musso. Promise, Ally Condie. Pastel fauve, Carmen Bramly. Fascination, Stephenie Meyer…
Son choix se porte sur La fille qui ne croyait pas aux miracles de Wendy Wunder. Livre qu’elle a déjà lut quatre fois. Elle n’a pas envie de rentre chez elle. Elle va commencer à lire ici. Elle s’installe sur un fauteuil un peu en retrait, juste devant une grande baie vitrée. Elle a à peine commencé à lire qu’elle aperçoit du coin de l’oeil quelqu’un arriver. Elle sait que c’est Antonill. Elle s’en fou. Elle ne lève même pas les yeux. Il prend un livre et s’assoie à l’autre bout de cet espace étriqué. Elle n’arrive plus à lire. Il fait chier ! Elle relève la tête. Il fait de même. Il la regarde bizarrement. Penche légèrement la tête sur le côté, comme s’il regardait une bête curieuse.
Pour lui montrer que ça la déplaît, Sophie se lève rapidement, se prenant les pieds dans une étagère dans son empressement. Elle retourne à l’accueil, enregistre son livre et sort. Elle sait qu’elle va vite le regretter parce qu’elle l’aura fini en deux jours maximum et qu’elle devra attendre jusqu’à la semaine prochaine pour pouvoir en prendre d’autres.
Futur.
Elle reviendra le samedi suivant. Se rassira avec un nouveau livre, lèvera les yeux vers Antonill qui aura fait la même chose. Il fera attention, cette fois-ci à ne pas la regarder curieusement pour ne pas la blesser. Au fil des semaines, ils développeront un dialogue silencieux, une chorégraphie de regards. Ils ne diront pas un mot. Pourtant, Sophie apprendra qu’il ne lit que des romans policiers, qu’il détestes les livres fantastiques… Tout cela rien qu’en observant ses sourcils qui se froncent en voyant un roman qu’il n’aime pas. Son visage qui souri presque en découvrant un nouveau polar… Il se rendra compte qu’elle ne lit presque que des romans à l’eau de rose… Ils ne communiquerons que comme ça. Pour, peut-être un jour, être près à s’adresser la parole…. qui sait ?
